Le Serpent craint pour ses plumes (Livres Hebdo n° 548, Vendredi 12 mars 2004)

La vente par Nicolas Philippe du Serpent à Plumes au Rocher suscite une belle bagarre.

Rachat
Le rachat du Serpent à Plumes par les éditions du Rocher (1) crée de nombreux remous. Plusieurs auteurs, comme Noam Chomsky, Dany Laferrière ou les ayants droit de Timothy Findley et Edward Said, ont fait savoir, par lettre adressée à Jean-Paul Bertrand, P-DG du Rocher, que la cession de leurs oeuvres aux éditions du Rocher n'était pas acquise et que leurs contrats comprenaient des clauses leur permettant de s'y opposer.
De nombreux traducteurs ont par ailleurs fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas travailler pour Le Rocher craignant qu'il n'applique à leur contrat le droit monégasque, plus défavorable. De son côté, Pierre Astier, directeur éditorial, fondateur du Serpent à Plumes (racheté en 1999 par Nicolas Philippe), a refusé les propositions de collaboration de Jean-Paul Bertrand, parce que le poste proposé ne lui paraissait pas compatible avec la poursuite du travail éditorial qu'il réalisait au Serpent à Plumes, mais aussi par solidarité avec les sept salariés de l'entreprise encore incertains de leur sort. Une procédure auprès du tribunal des prud'hommes est en cours contre Nicolas Philippe pour "modification substantielle de contrat", tandis que Jean-Paul Bertrand a reçu une mise en demeure concernant la reprise du personnel.

"Dépeçage".
Surtout, Pierre Astier redoute un "dépeçage" de l'entreprise. Il s'appuie pour cela sur le fait que Jean-Paul Bertrand a annoncé que la collection au format de poche "Motifs" serait apportée à la société monégasque Alphée, autre filiale du groupe. Pour lui, séparer "Motifs" des collections qu'il a construites pendant quinze ans au Serpent à Plumes est une aberration. Très remonté contre la façon selon lui extrêmement cavalière avec laquelle Nicolas Philippe a espéré régler le sort du Serpent à Plumes, il laisse entendre qu'il pourrait intenter d'autres procédures, en diffamation contre Nicolas Philippe et en contrefaçon, si Jean-Paul Bertrand utilise les couvertures des collections du Serpent à Plumes, conçues par les fondateurs de la maison d'édition.

Levée de boucliers. Jean-Paul Bertrand, de son côté, ne cache pas qu'il ne s'attendait pas à une telle levée de boucliers : "On me soupçonne de vouloir dépecer la maison. C'est aberrant ! Quel intérêt aurait un éditeur à vouloir détruire ce qu'il vient d'acheter ?" "Je ne comprends pas ce qu'on nous reproche", ajoute-t-il en pressentant qu'il hérite d'un conflit latent avec l'ancien propriétaire de la maison. En attendant, le directeur du livre, Eric Gross, qui a été saisi du problème, pourrait organiser au CNL une réunion de conciliation.

Christine Ferrand
(1) Voir LH 545, du 20.2.2004, p.53.