Les tribulations du Serpent à plumes (LE MONDE DES LIVRES | 13.05.04 | 17h36)
L'affaire du Serpent à plumes a fait couler beaucoup d'encre. Ce pourrait être l'histoire banale d'un propriétaire qui vend l'entreprise qu'il a achetée. Mais le poids symbolique des maisons d'édition dépasse leur valeur économique. En quinze ans de vicissitudes et d'histoire mouvementée, le Serpent à plumes a construit un catalogue et imposé sa marque, sous la conduite de Pierre Astier. La maison a été vendue deux fois, mais son fondateur est resté en place, tout comme celui de la collection de poche "Motifs", Pierre Bisiou. Ils n'ont pas voulu suivre leur maison aux Editions du Rocher. La vente a alors pris l'allure d'un western, provoquant une réelle émotion chez des lecteurs et des libraires, attachés au catalogue, qui craignent que la maison perde son âme ("Le Monde des livres" du 26 mars).

Que s'est-il passé ? Nicolas Philippe s'était lancé avec enthousiasme (et de l'argent) dans l'édition. Cet ancien avocat d'affaires et ancien actionnaire des imprimeries Chevrillon Philippe a repris le Serpent à plumes en 1999. Il a construit un petit groupe avec Somogy, l'éditeur en ligne, manuscrit.com, les éditions Nicolas Philippe et le Centre d'observation du livre (COL), qui regroupait le Serpent à plumes et Florent Massot présente, créé par Florent Massot et Philippe Robinet, partis créer, chez Bernard Fixot, Oh ! éditions. "Je voulais ouvrir mon capital, explique Nicolas Philippe. C'était souhaité par Pierre Astier." Il entre pendant l'été 2003 en discussions avec Flammarion pour changer de distributeur et envisager une éventuelle entrée dans le capital. C'est là qu'intervient le premier imbroglio de l'affaire. Nicolas Philippe soutient que Pierre Astier a fait échouer début février la négociation avec Flammarion, ce que Pierre Astier conteste. Elle portait sur un contrat de distribution et une entrée à 25 % dans COL, pour un montant de 400 000 euros. COL a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires de 1,76 million d'euros et accusé un déficit de 251 000 euros. Frédéric Morel, directeur général de Flammarion, explique : "Nicolas Philippe nous a demandé de prendre une participation pour assurer le contrat de distribution. Nous avons examiné la proposition, mais ça n'a pas débouché."

CONTRE-ATTAQUE

Nicolas Philippe discute avec Jean-Paul Bertrand, PDG des Editions du Rocher, et aboutit à un accord mi-février sur la vente du Serpent et de "Motifs" pour un montant de 300 000 euros. Pierre Astier et Pierre Bisiou se sentent mis devant le fait accompli. Nicolas Philippe et Jean-Paul Bertrand estiment que ces derniers ont refusé de discuter. Ils mènent la contre-attaque pour contester les conditions de la vente, avec une pétition de soutien qui réunit 1 400 signatures. Des recours judiciaires, engagés par l'avocat Emmanuel Pierrat, sont en cours contre Jean-Paul Bertrand et Nicolas Philippe, tandis que des auteurs contestent le transfert de leurs contrats.

Jean-Paul Bertrand estime qu'il a fait l'objet d'une campagne de dénigrement : "Ils ont protesté car ils voulaient monter leur propre structure. Nous avons contrarié leur plan. Ils se dévoilent aujourd'hui. Ils veulent détourner des auteurs vers leur propre maison." Pierre Astier et Pierre Bisiou, licenciés pour faute, veulent créer leur maison et poursuivre leur aventure éditoriale. "Devant le risque de vente du Serpent, j'ai proposé un rendez-vous à Nicolas Philippe pour discuter de nouveaux actionnaires, mais en réalité je n'avais pas grand-chose, explique Pierre Astier. J'espère pouvoir annoncer la création d'une nouvelle structure en juin, pour proposer les premiers livres, à la fin de l'année ou début 2005."

Après quelques semaines compliquées, les nouveaux titres du Serpent à plumes paraissent aux Editions du Rocher, comme Les Mensonges de Bush, de Scott Ritter, ou de nouveaux "Motifs" (Florent Couao-Zotti, Ina Césaire), avec un nouveau directeur littéraire, Christian Séranot. "Il n'y a pas de démantèlement, dit Jean-Paul Bertrand. Plusieurs écrivains sont contents de travailler pour nous. Nos auteurs, comme Philippe Delerm ou Daniel Picouly, s'investissent dans cette reprise. Delerm est prêt à publier un inédit en "Motifs". Les titres choisis seront conformes à l'esprit de cette collection. Nous n'y mettrons pas La Colline inspirée de Barrès, par exemple. Nous allons augmenter la production. Et je vais essayer de les promouvoir pour les prix littéraires, comme les autres livres..."

Alain Salles
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 14.05.04